Lynne Dawkins & Olivia Corcoran viennent de publier une recherche très intéressante sur la prise de nicotine lors du vapotage : Acute electronic cigarette use: nicotine delivery and subjective effects in regular users.
Onze vapoteurs et trois vapoteuses expérimentés ont disposé d’un même modèle de cigarette électronique de première génération (automatique) chargée en nicotine à 18 mg/ml. Tous en étaient familiers et n’avaient pas absorbé de nicotine depuis leur lever. L’objectif était de mesurer les taux de nicotine dans le sang :
- après l’inhalation de dix bouffées en cinq minutes ;
- puis après une heure de vapotage libre ;
- enfin une heure après la fin de l’heure de vapotage, sans le droit de vapoter.
ainsi que d’apprécier les effets subjectifs de ce protocole expérimental sur leur envie de vapoter.
La concentration de nicotine plasmatique fut relevée ainsi :
Nicotine plasmatique (ng/ml) | Moyenne | Écart-type |
Base (n=14) | 0,69 | 0,31 |
Après 10 bouffées | 6,77 | |
Après vapotage libre 1h00 | 13,91 | |
Après repos 1h00 | ~ 7 (estimé) |
Le détail des données montre une grande dispersion. D’abord, il n’a pas été possible de recueillir tous les échantillons sanguins des trois participantes, ce qui est un fait expérimental à analyser en fonction du genre : nulle conclusion ne peut valablement être portée sur les effets du vapotage féminin avec ces résultats expérimentaux limités.
Après dix bouffées en cinq minutes, les niveaux de nicotine ont varié de 2,50 ng/ml à 13,4 ng/ml, ceci bien que tous les participants soient des vapoteurs habitués à ce type de modèle. Après une heure, lors de laquelle ils ont inhalé une moyenne de 29 fois (de 11 à 63), la dispersion va de 4,35 ng/ml à 25,6 ng/ml, sans que la corrélation entre le nombre de bouffées et la concentration en nicotine soit nette (r =0,48, p =0,16).
Cette grande dispersion est un fait majeur à prendre en compte dans les études cliniques à venir. Il est possible – notamment – que l’arôme Tabac blond proposé à tout le monde ou le dosage (assez élevé) n’ait pas convenu.
Une mystérieuse continuation du vapotage
Interrogés par questionnaire sur leur envie de vapoter, les participants – à jeun de nicotine au début de l’expérience – ont été rapidement soulagés, comme en témoigne ce graphique : en cinq minutes, la sensation d’envie de vapoter est divisée par deux.
En chiffres :
Envie de fumer | Moyenne | Écart-type |
Base | 4,07 | 0,71 |
Après 10 bouffées | 2 | 0,44 |
Après vapotage libre 1h00 | 1,79 | 0,22 |
Après repos 1h00 | 2,85 | 0,27 |
Ce qui est intéressant à relever, c’est le fait qu’après une heure de vapotage libre, l’envie exprimée soit restée similaire à celui après 10 bouffées seulement. Ceci traduit la capacité de le cigarette électronique à satisfaire rapidement le consommateur conclut l'étude. C'est un résultat important.
Mais cela fait se poser la question : pourquoi les participants ont continué à vapoter en doublant (de 6,77 à 13,91 ng/ml) leur taux de nicotine plasmatique sans que leur “envie” soit significativement réduite ? Différentes explications sont envisageables, dont celle-ci :
les participants ont vapoté pour d’autres raisons qu'absorber de la nicotine
Les auteures imaginent notamment que le plaisir du vapotage soit liés aux aspects sensorimoteurs, aux sensations dues à la vapeur inhalée et exhalée, sensations gustatives, visuelles, etc. et aussi à une gestuelle, cf. l’étude ‘Vaping’ profiles and preferences [2]. Ceci relativise le rôle de la substitution de nicotine, supposé central et majeur par certains [3], au moins chez les vapoteurs confirmés sélectionnés pour cette recherche.
Ce constat est confirmé par une autre étude [4] montrant que les vapoteurs réduisent le dosage en nicotine de leurs e-liquides dès l’arrêt du tabac, et ce proportionnellement à l’ancienneté de leur arrêt. Tout se passe comme si, avec le temps, se développait une intolérance à la nicotine. Ceci serait bien entendu contradictoire avec le caractère réputé hautement addictif de celle-ci.
Plus de nicotine ne soulage pas mieux
Un autre volet de l’étude s’est penché sur les aspects subjectifs et psychologique du vapotage. Pour cela un questionnaire a été utilisé : l’échelle Mood and Physical Symptoms Scale (MPSS) [1].
Comment vous sentez-vous en ce moment ? 1 = pas du tout –> 5 = extrêmement |
1. Déprimé |
2. Anxieux |
3. Irritable |
4. Agité |
5. Affamé |
6. Déconcentré |
7. Insomnieux |
Une analyse des effets qualitatifs du manque (de nicotine) aux différents moments de mesure de la nicotine sanguine a été menée. Le doublement du taux de nicotine entre cinq minutes et une heure ne majore pas l’effet de soulagement ni, comme d’autres le soutiennent, un supposé plaisir généré à consommer de la nicotine :
Score MPSS | Moyenne | Écart-type |
Base | 8,62 | 1,13 |
Après 10 bouffées | 6,36 | 0,70 |
Après vapotage libre 1h00 | 6,21 | 0,36 |
Après repos 1h00 | 6,69 | 0,64 |
Les symptômes de manque réapparaissent certes rapidement : il peut donc être fait l’hypothèse que ces participants, a priori tous dépendants au tabagisme, vapotent plus pour soulager des sensations déplaisantes (irritabilité, agitation, déconcentration) dues à un manque qu’à accroitre un supposé plaisir dû à la nicotine. Il sera souhaitable de procéder à des études complémentaires avec des tests plus ciblés.
Il serait aussi souhaitable d’apprécier dans quelle mesure ces effets de soulagement (et/ou de plaisir) induits par l'apport de nicotine surviennent chez des personnes n’ayant jamais fumé de tabac et donc non dépendantes de sa consommation régulière.
Enfin, l’une des leçons majeures de cette recherche est que le genre et la subjectivité jouent certainement un rôle majeur dans les pratiques de vapotage. Ceci sera un frein, voire un obstacle sévère, aux recherches expérimentales sur les usages de la cigarette électronique : à vouloir éliminer la subjectivité, par exemple en imposant un dispositif expérimental uniformisé, on perd la capacité à comprendre ce qui se passe en réalité. Ceci sonne le glas des études cliniques à la sauce pharmaceutique.
Références
- West R, Hajek P (2004). Evaluation of the mood and physical symptoms scale (MPSS) to assess cigarette withdrawal ; Psychopharmacology, 177, 195-199.
dans www.ucl.ac.uk/hbrc/tobacco/mpss.doc - Dawkins L, Turner J, Roberts A, Soar K (2013) ‘Vaping’ profiles and preferences: an online survey of electronic cigarette users. Addiction 108:1115–1125
- Nouvelle étude de Dawkins, dosage de nicotine dans le sang après utilisation d'une e-cigarette de première génération, J. Le Houezec, 11.09.2013
- Evaluating Nicotine Levels Selection and Patterns of Electronic Cigarette Use in a Group of “Vapers” Who Had Achieved Complete Substitution of Smoking ; Farsalinos & al. ; Substance Abuse: Research and Treatment 2013:7 139-146